Le miracle de la pensée positive.
Quand je regarde les périodes de ma vie qui ont été les plus marquées par la souffrance, je vois que la vie a toujours été là pour me soutenir dans l’épreuve. Amis, collègues, famille, ont pour l’occasion révélé l’amour qu’ils étaient. Le soutien arrivait de toutes parts, parfois de personnes dont je l’attendais le moins.
Il y avait ceux qui restaient à mes côtés, en silence, à m’écouter, à m’envelopper de bienveillance. Ils ont été une bénédiction.
Il y avait aussi ceux qui voulaient faire davantage que juste écouter, davantage que juste être là à mes côtés. Ils voulaient aider, ils voulaient agir, ils voulaient retrouver le Didier qui sourit, le Didier qui plaisante. Ils me prodiguaient des conseils. Ils m’invitaient à me ressaisir, à voir le bon côté des choses:
– Il faut positiver! Dans toute situation il y a du bon et du mauvais. Là tu es hypnotisé par le mauvais. Regarde le bon! Positive!
Effectivement j’étais hypnotisé par le mauvais côté des choses. Et oui, je pouvais aussi admettre qu’il y avait un bon côté. Grâce à leur soutien, en faisant des efforts, je parvenais à détourner mon regard du négatif, à voir le bon côté des choses. Oui, j’y parvenais. Provisoirement. Et dès que je relâchais mes efforts, dès que j’étais trop fatigué pour maintenir en place une projection positive, je sombrais à nouveau dans la négativité, et la souffrance était alors encore plus intense: non seulement je souffrais à cause du mauvais côté de la situation, mais en plus je souffrais d’échouer à rester focalisé sur le bon côté. En dépit de mes efforts, je n’arrivais pas à occulter de manière durable le mauvais côté de la réalité. Je n’arrivais pas à chasser les pensées négatives pour n’entretenir que des pensées positives. Le joli pansement rose avec lequel je recouvrais la vilaine blessure finissait toujours pas se détacher, et en dessous, la plaie ne cessait de s’infecter.
A la longue, j’ai commencé à ne plus supporter les conseils avisés. Quand on me disait « regarde le bon côté des choses », j’entendais la validation qu’il y avait un mauvais côté des choses. Quand on me disait « positive! », j’entendais qu’il fallait trouver un petit coin de ciel bleu, et qu’il était admis que globalement le ciel était chargé, lourd, sombre. En fait, la pensée positive, je n’y voyais plus qu’un artifice pour masquer la noirceur de la situation, un mensonge plus ou moins habile pour me faire croire qu’un joli pansement rose allait désinfecter la plaie.
J’étais fatigué des efforts, fatigué du mensonge. Je préférais souffrir en regardant les choses en face plutôt que de m’anesthésier en me prenant pour un neuneu. Dans cette histoire, de toute façon, tout le monde s’accordait à dire que ma vie, c’était de la merde, alors à quoi bon y vaporiser un soupçon de parfum de rose? Le parfum subtil de la rose ne masquait jamais vraiment l’odeur des excréments, et en plus il était trop volatile pour recouvrir durablement la pestilence.
Quand la souffrance a finalement été libérée du carcan de la « positivation », elle a pris tout son essor, elle a grandi en intensité, et quelque chose devait y rester. Ça aurait pu être le bonhomme. En l’occurrence, ce qui y est passé, c’est l’histoire qu’il existe un bon côté de la situation, et son corollaire immédiat, l’histoire qu’il existe un mauvais côté de la situation. Tant qu’il y avait deux faces à la réalité, c’était foutu.
« Il y a un bon et un mauvais côté à cette situation ».
Est-ce que c’est vrai?
Est-ce que je peux absolument savoir que c’est vrai?
Comment est-ce que je réagis quand je crois qu’il y a aussi un mauvais côté à la situation? Est-ce paisible de devoir faire un effort pour occulter un hypothétique mauvais côté?
Qui serais-je sans la croyance qu’il y a un mauvais côté à la situation?
La liberté n’est jamais qu’à quatre questions de moi.
Parfois je me rends à l’investigation. Parfois non. Quand je me rends à l’investigation, il n’y a que paix et liberté. Quand j’y résiste, il n’y a que souffrance.
Quand des amis me voient dans la souffrance et m’offrent un joli pansement rose, je suis touché par leur attention. Le joli pansement rose, c’est en dessous la garantie d’une plaie qui s’infecte. C’est la garantie d’une souffrance qui s’intensifie. C’est la garantie que tôt ou tard, ça devient si insupportable que je me rends aux quatre questions.
Le miracle de la pensée positive, c’est que ça ne marche pas, et que cet échec est une merveilleuse invitation à me mettre au Travail.
Didier Havé
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