Il y a deux manières pour moi de faire le Travail.
Il y a la version jeu télévisé, et la version cinéma IMAX 3D.
Dans la version jeu télévisé, quand les quatre questions me sont posées, quand je suis invité à exposer des retournements, quand je suis invité à en donner des exemples, je cherche la bonne réponse. Quand je pense avoir trouvé la bonne réponse, je suis content de moi. Quand je peine à la trouver, je panique, je m’agite. Il se peut que j’essaie de copier discrètement sur mon voisin, répétant ce que j’ai pu lire ou entendre ici ou là. Il se peut que je demande l’aide du public. Et comme le public est bon public, il y a des chances qu’il me souffle les bonnes réponses qu’il a trouvées, ou qu’il a copiées sur son voisin, répétant ce qu’il a pu lire ou entendre ici ou là. A la fin du jeu télévisé, le public applaudit machinalement; peut-être je suis content de moi, peut-être moins, peut-être pas du tout. Le moi qui repart du jeu télévisé, content ou moins content, est le moi qui est entré au début du jeu télévisé. Il pense qu’il a compris, il pense qu’il n’a pas compris, il pense que maintenant il sait, ou il pense qu’il n’est pas plus avancé. En tout cas il ressort intact.
Dans la version cinéma IMAX 3D, je me dépose en moi-même comme je confie mon corps au fauteuil du cinéma. Je fais silence en moi-même, comme les lumières s’éteignent avant que le film ne commence. Ce silence est infiniment vivant, infiniment vibrant. Du film, je ne connais que le titre, un vague synopsis. Je n’ai aucune idée de ce qui va s’y passer. Mes yeux et mes oreilles sont grand ouverts, tous mes sens sont en alerte. Il y a dans les secondes qui précèdent le début du film une totale prédisposition à la découverte, à l’émerveillement. Au coeur de la tranquillité, au coeur du silence, sur l’écran de mon esprit, à chaque question que je laisse descendre dans le coeur, la projection commence. Je n’ai pas à fabriquer le film, je n’ai pas à trouver le bon scénario, j’ai juste à être présent et à voir, à entendre, à ressentir. Cette version-là du Travail remue les tripes, brasse les émotions. J’oublie la présence des autres spectateurs. Il n’y a pas de public dans cette version, il n’y a que le film, il n’y a que l’écho que le film génère en moi. Pendant le film, des pans entiers de mon identité s’effondrent comme des châteaux de sable. Le moi qui ressort de la salle de cinéma n’est pas celui qui y est rentré. Il n’a pas compris, il a réalisé. Il n’a pas acquis de nouveaux savoirs, il a été dépossédé de faux savoirs. Il s’est allégé. Il a gagné en transparence, en espace, en fluidité. Il n’est ni content ni mécontent. Il est silencieux. Il est en paix.
Quelle version du Travail vais-je m’offrir aujourd’hui?
Didier Havé
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